Épisode 154 : La légalisation du cannabis et les réclamations en assurance automobile
Depuis quelques années maintenant, le cannabis est légal au Canada et dans d’autres juridictions en Amérique du Nord. Il y a eu des préoccupations à savoir que cela mènerait à une forte consommation et par conséquent, entraînerait un nombre plus élevé de réclamations en assurance automobile. Un nouveau projet de recherche commandité conjointement par l’ICA et la Casualty Actuarial Society a les réponses à ces questions. Dans cet épisode, Marc-Olivier Ménard, FICA et membre du groupe chargé de la surveillance de ce projet, se joint à nous pour discuter des résultats. (En français)
Transcript
Bonjour et bienvenue à Voir au-delà du risque, le balado de l'Institut canadien des actuaires. Ici, Jean-François Lussier, actuaire et gestionnaire principal au Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF).
Lussier:Le sujet d'aujourd'hui porte sur un document de recherche conjoint de la Casualty Actuarial Society et l'Institut canadien des actuaires, lequel s'intitule Évaluation des effets de la décriminalisation du cannabis sur l'expérience d'accidents automobiles.
Lussier:Pour en discuter, nous accueillons Marc-Olivier Ménard qui est actuaire et analyste principal également au Bureau du surintendant des institutions financières.
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Marc-Olivier est membre du groupe chargé de la surveillance de ce projet de recherche et a également participé à la révision du rapport.
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Alors merci beaucoup, Marc-Olivier, de te joindre à nous aujourd'hui.
Ménard:Merci de l'invitation.
Lussier:Premièrement, Marc-Olivier, si on regarde l'étude, en fait cette étude repose sur des données canadiennes et américaines. Avant de commencer dans le vif du sujet, est-ce que tu pourrais nous dresser un portrait du statut légal du cannabis, autant au Canada qu’à travers les
États-Unis?
Ménard:Oui, tout à fait. En fait, la légalisation du cannabis est un phénomène assez récent. Au Canada, l'usage à des fins récréatives a été légalisé en octobre 2018 par la loi fédérale à travers tout le pays.
Ménard:Et le cannabis pour usage médical est permis depuis 2001, selon des critères fixés par Santé Canada. Au niveau des États-Unis, la légalité varie vraiment par État, et depuis 2012, il y a une vague de légalisation qui a commencé à travers tout le pays, en commençant par le Colorado puis à Washington.
Ménard:Et en 2014, l'Alaska et l’Oregon ont aussi légalisé le cannabis, et dans le cadre de l'étude, on s'est concentré surtout sur les États de la Californie, du Maine et le Nevada qui ont légalisé le cannabis durant la période qui a été analysée.
Ménard:Et depuis l'étude, il y a beaucoup d'autres États qui l'ont légalisé. Ces États incluent l’Arizona, le New Jersey, New York, Virginie, l’Illinois, le Michigan, etc.
Ménard:Et récemment, on donne à l'élection américaine à mi-mandat, le Missouri, le Maryland ont voté pour légaliser le cannabis, tandis que le Dakota du Nord et du Sud et l’Arkansas ont voté contre la légalisation.
Ménard:Quant au cannabis médical, il y a très peu d'États qui l'interdisent, on parle surtout des États du Sud et du Midwest américain comme le Texas, le Tennessee ou les Carolines.
Ménard:Sur une autre note, le Colorado, aux dernières élections de mi-mandat en 2022, a voté pour décriminaliser et réglementer certaines substances psychédéliques, dont les champignons magiques. Donc, ça pourrait être un sujet d'étude futur.
Lussier:Clairement c'est plus complexe aux États-Unis qu’au Canada, au niveau du statut légal.
Ménard:Oui.
Lussier:Avant de commencer les travaux par rapport à cette recherche, quelles étaient les principales études qui existaient déjà relativement à la décriminalisation du cannabis, et quelles étaient les conclusions de ces rapports?
Ménard:En fait, il y a beaucoup d'études qui ont été faites sur le cannabis, puis on peut les résumer en trois grands groupes : le premier groupe, ce sont les études qui regardaient l'effet du cannabis sur les capacités de conduire.
Ménard:Le 2e groupe, c'étaient les effets de la décriminalisation sur la proportion des conducteurs qui conduisent avec les facultés affaiblies, puis le 3e groupe regardait vraiment l'effet global de la décriminalisation sur la santé, la sécurité publique.
Ménard:Dans le premier groupe d'étude qui regardait la capacité de conduire sous l'influence du cannabis, le constat général était que le cannabis n'avait pas un impact significatif sur la conduite des participants et participantes, même que les participants et participantes conduisaient moins vite et à maintenir des distances plus longues entre les véhicules.
Ménard:Donc ce n’étaient pas des comportements qui aggravaient leur capacité de conduire, donc sans dire que le cannabis était positif sur la conduite automobile, ça ne semblait pas être négatif en soi.
Ménard:Dans le 2e groupe d'étude, on constatait que la proportion des gens qui conduisaient sous l’influence du cannabis avait tendance à augmenter suivant la légalisation dans les États américains…
Ménard:… et en revanche, d’un coup que l'on corrigeait l'âge, le sexe et l'ethnicité des gens, les résultats n'étaient plus statistiquement significatifs. Donc cela a fait en sorte que la plus forte proportion qu'on décidait, c'était le signal d'autre chose.
Ménard:Et dans le 3e groupe d'étude, on examinait les faits globaux de la décriminalisation sur les causes de décès. La tendance générale est que le cannabis n’a pas un impact négatif sur la mortalité dans les États qui ont légalisé le cannabis.
Ménard:Il y a certains sous-groupes qui ont vu leur mortalité s'aggraver; comme par exemple, les jeunes conducteurs de sexe masculin, mais l'impact reste à la marge.
Lussier:Et est-ce que ces études avaient certaines limitations?
Ménard:Bien, ce sont surtout des études observationnelles qui étaient basées sur peu de données et peu d'individus, donc c'était difficile de généraliser à grande échelle.
Lussier:D'accord. Donc on parle justement de ces études antérieures qui ont déjà été réalisées sur la décriminalisation du cannabis.
Lussier:Par rapport à la présente recherche, quelles sont les principales différences au niveau des outils statistiques qui ont été utilisés?
Ménard:L'étude pose vraiment un nouveau regard sur les effets de la décriminalisation, sur l'expérience de l’assurance automobile et sur les implications pour l'assurance en général.
Ménard:L'étude propose une approche systématique pour évaluer les changements de ce type dans l'avenir, ce qui va permettre aux assureurs de couvrir ces risques et d'élaborer des stratégies plus efficaces de tarification.
Ménard:En fait, c'est une étude qui est vraiment guidée par les données, surtout des données accessibles au public qui permettent d'évaluer l'incidence sur l'expérience automobile de la légalisation du cannabis grâce aux techniques classiques modernes, à l'apprentissage machine et à l'intelligence artificielle en général.
Lussier:Merci Marc-Olivier.
Lussier:Retournons à la base – peut-être pour les gens qui sont moins familiers avec la conception de ce genre de recherche, pourriez-vous nous décrire les principales étapes d'une telle analyse pour finaliser un rapport?
Ménard:Oui, tout à fait. En fait, la première étape était d'établir des groupes témoins pour quantifier les effets de la décriminalisation du cannabis.
Ménard:Les groupes témoins, c'était soit le même territoire avant la décriminalisation; donc on fait une comparaison avant ou après, ou on regardait des territoires qui sont similaires.
Ménard:Ensuite, la 2e étape était de recueillir des données sur les accidents automobiles comme la fréquence, la gravité et le type d'accident.
Ménard:On regardait aussi des données plus parasites si on peut dire; donc des données autres qu’aux accidents comme la météo, l'heure de l'accident, le jour de la semaine, l'âge, le sexe du conducteur ou de la conductrice pour vraiment avoir un portrait global de l'accident en soi.
Ménard:Ensuite, on appliquait des techniques statistiques de base pour quantifier les effets de la décriminalisation du cannabis en contrôlant pour les facteurs parasites, pour ensuite élargir l'analyse à l'ensemble des modèles linéaires et paramétriques classiques pour tirer parti de la puissance des techniques statistiques et de l'apprentissage machine.
Ménard:Et finalement, on a fait la synthèse des résultats des différentes méthodes et des régions géographiques que l’on observait.
Lussier:Et j'ai remarqué que dans l’étude, on parle du concept d'appariement par score de propension (ou ASP comme acronyme). Quel est ce concept?
Ménard:En fait, l’ASP, lorsqu’on ne peut pas faire des essais comparatifs randomisés, l'appariement par score de propension (l’ASP) sert à apparier les sujets à l'étude en fonction de la probabilité estimée qui reçoit le traitement sur la base de certaines variables qui ne sont pas touchées par le traitement.
Ménard:En fait, l’ASP cherche donc à créer des groupes homogènes pour éviter la possibilité de confondre les effets étudiés avec les effets des variables de base.
Ménard:Comme ça, avec des scores de propension semblables l'affectation des sujets aux traitements peut être considérée comme étant aléatoire, ce qui est très important pour satisfaire aux hypothèses de nombreux modèles de causalité.
Ménard:Si on résume : l’ASP nous permet de comparer des pommes avec des pommes, et non pas des pommes avec des oranges.
Lussier:Parfait, je comprends. Et les conclusions de l'étude finalement pour le Canada, qu'est-ce que c'est par rapport à la fréquence et la sévérité des accidents automobiles?
Ménard:Bien, la conclusion principale de l'étude de la légalisation du cannabis à des fins récréatives n'est pas statistiquement significative, donc le coût moyen des réclamations ne semble pas plus élevé plus qu'avant.
Ménard:C'est sûr que la pandémie de la COVID-19 est venue brouiller les cartes puisqu’on a dû exclure une partie des données après 2020, puisque les habitudes des conducteurs ont beaucoup changé – difficile de dire si les résultats étaient différents si on avait inclus plus données, mais on pourrait s'attendre à ce que la conclusion soit la même.
Lussier:Avons-nous les mêmes conclusions pour le Québec?
Ménard:Pour le Québec, oui, les conclusions sont les mêmes.
Lussier:Et au niveau des États-Unis? En fait, c'est sûr qu’il y a beaucoup d'États quand vous en avez parlé un peu tantôt de différents statuts légaux, mais est-ce que vous avez pu tirer des conclusions par rapport à nos voisins du Sud?
Ménard:Oui, il y a plus d’États qui ont légalisé le cannabis avant la pandémie, donc c’est plus facile de tirer des conclusions. Et la conclusion est essentiellement la même que pour le Canada, c'est-à-dire que le cannabis ne semble pas avoir un impact significatif sur le coût de réclamation et la fréquence.
Lussier:Parfait, et comment voyez-vous finalement la portée de cette étude? Est-ce que les outils statistiques qui ont été pris en compte pourraient être utilisé pour d'autres d'analyses?
Ménard:L'étude permet aux assureurs d'évaluer l'impact de la décriminalisation sur leurs résultats et sur la tarification. Il y avait une certaine incertitude au moment de la légalisation sur l'impact qu'elle allait avoir la décriminalisation sur les résultats.
Ménard:Mais l'étude semble suggérer que l'impact est assez limité et les outils statistiques qui ont été utilisés sont assez flexibles, et peut être généralisée à d'autres sujets d'étude assez facilement.
Ménard:Par exemple, on pourrait appliquer les mêmes techniques pour mesurer l'impact de l'obligation d'installer des pneus d'hiver sur un véhicule lorsqu'on arrive à l'hiver, ou l'impact des nouvelles lois pour restreindre l'usage du téléphone (cellulaire) au volant, par exemple.
Lussier:C’est vraiment intéressant, Marc-Olivier, et je te remercie beaucoup. Et j'invite tout le monde à aller consulter le rapport de recherche.
Lussier:Alors merci de t’être joint à nous pour le balado, Marc-Olivier, et pour avoir discuté du rapport dont je rappelle le titre : Évaluation des effets de la décriminalisation du cannabis sur l'expérience d'accidents automobiles.
Lussier:Merci beaucoup Marc-Olivier.
Ménard:Merci.
Lussier:Alors, cher auditoire, c'est ce qui met fin à l'épisode d’aujourd’hui. Je vous rappelle que nous avons plus de 150 épisodes dans notre répertoire, alors je vous invite à les consulter. N'oubliez pas de vous abonner à Voir au-delà du risque sur n'importe quelle plateforme de diffusion de balados, pour ne pas manquer des épisodes à venir.
Lussier:J'en profite aussi pour mentionner que l'Institut a également lancé un nouveau site Web qui partage et explique tous les changements apportés aux exigences de qualification. Je vous invite à les consulter à www.education.cia-ica.ca.
Lussier:Je m'appelle Jean-François Lussier, et merci d'avoir écouté Voir au-delà du risque. À la prochaine!